Monsieur le Président, mesdames, messieurs les membres du Comité,
Le texte qui nous est présenté se propose de poser un cadre réglementaire pour une activité qui se situe entre deux enjeux écologiques majeurs : lutter contre les émissions de GES, notamment celles de CO2 liées à la combustion des énergies fossiles, et préserver la biodiversité, notamment aquatique.
Mais ce texte n’est pas abouti et présente de nombreuses contradictions, lacunes et imprécisions.
Pourtant exploiter l’énergie potentielle des cours d’eau pour produire de l’électricité n’est pas sans impacts sur l’environnement. Le MEDDE écrit : « Les installations permettant de produire l’électricité à partir de la force hydraulique (barrages, dérivations, turbines) ont des impacts forts sur l’état des cours d’eau et des milieux aquatiques ».
En effet, s’il s’agit de créer des barrages et retenues, la mise en eau provoque:
- la disparition de terres (naturelles et agricoles notamment) et de la biodiversité qui y est installée
- la transformation d’un écosystème d’eau courante en un écosystème de plan d’eau
- la sous-oxygénation des eaux de retenue et la suroxygénation des eaux de lâchers
Dans un cas comme dans l’autre, l’équilibre des écosystèmes est mis à mal.
- la disparition des sédiments en aval, s’ensuit une augmentation de l’érosion qui entraîne l’enfoncement du lit aval (et le déchaussement des ponts par exemple), ainsi que la disparition des substrats favorables à la Vie.
- une mortalité des poissons, en particulier à la prise d’eau
- la disparition d’espèces aquatiques ou l’isolement génétique par fragmentation d’habitat, facteur de vulnérabilité, ou l’impossibilité pour elles d’accomplir la totalité de leur cycle de vie. La mise en place d’échelles ou de passes à poissons ne résout pas tout, loin s’en faut ! Si la montaison est assez bien maîtrisée dans l’hexagone, la dévalaison ne l’est pas. Nous insistons sur le fait que les espèces de poissons concernées ont des preferenda différents (en matière de courant, de débit, d’oxygénation, de température…) ce qui complique singulièrement la tâche…
- le ralentissement ou l’uniformisation de l’écoulement, des changements de température et de profondeur, un faible renouvellement des eaux, la diminution de la capacité d’autoépuration du cours d’eau, une modification des teneurs en minéraux et une eutrophisation
- des modifications favorables aux espèces envahissantes…
De plus, il existe des doutes quant au bilan en GES des systèmes hydroélectriques : l’activité bactériologique dans l’eau des barrages, surtout en zone tropicale, relâche d’importantes quantités de méthane au PRG 28 fois plus important que celui du CO2 (on estime les émissions nettes de GES liées aux barrages à 1 % du total des émissions mondiales). Nous demandons donc que, pour chaque projet, soit obligatoirement réalisé ce bilan GES dont méthane.
L’évaluation du projet doit se faire dans un cadre spatiotemporel large, en liaison avec les aménagements voisins et à l’échelle du bassin jusqu’à la façade marine afin de prendre en compte les effets cumulés, y compris ceux de la fin de vie de l’aménagement**.
Les installations hydroélectriques qui pourraient nous agréer répondent aux critères suivants:
- elles respectent la continuité écologique du cours d’eau pour la faune ainsi que pour le transit sédimentaire et celui des corps flottants
- elle exclut les cours d’eau remarquables par la qualité de leurs eaux ou leur situation géographique, ainsi que ceux assurant la migration des poissons d’eaux douce vers l’eau de mer et inversement, et ceux servant de réservoirs biologiques
- elles préservent la variation des débits à la base du fonctionnement d’une rivière et de la création d’habitats, donnant au cours d’eau une organisation verticale et horizontale. L’homogénéisation est dommageable pour les biocénoses
- le débit total d’un cours d’eau ne peut pas être consacré à la seule production électrique (10% du débit moyen doit être maintenu en toutes saisons)
- l’eau prélevée pour traverser la turbine rejoint l’aval du cours d’eau et le fait de façon régulière et non traumatisante.
Quasiment toutes ces recommandations de bon sens sont absentes du texte présenté aujourd’hui au CCE.
Comme d’ailleurs sont absentes des alternatives que l’on aimerait voir étudier en première intention:
- multiplication des centrales « au fil de l’eau » (production à faible impact et de proximité donc sans pertes liées transport)
- pico-électricité produite sur des canalisations d’eau potable par gravité (si la production est faible, l’investissement l’est aussi et l’impact environnemental nul !)
- centrales par écluses qui permettent un stockage quotidien ou hebdomadaire de quantités moyennes d’eau
- STEP : de l’eau est pompée d’un réservoir aval vers un réservoir amont en période de surproduction d’électricité. Cette eau est turbinée en période de pointe de consommation. L’eau en question pourrait provenir du lagon qui constituerait alors sans frais le réservoir aval…
Nous nous inquiétons aussi du fait que la NC ne dispose pas de texte encadrant l’information-participation du public comme aussi de la procédure de désignation des commissaires enquêteurs. A l’heure actuelle, nous rappelons qu’elle est le « fait du Prince », et ne donne pas d’assurance relativement à la compétence et à l’impartialité des personnes désignées. Nous souhaitons que les institutions de la NC alignent leurs procédures sur celle de l’hexagone : confection d’une liste d’agrément professionnel et désignation par le président du Tribunal administratif.
Enfin, l’eau est un « bien commun ». Nous attendons donc une tarification des services liés à son utilisation, y compris énergétique. A l’heure des déficits budgétaires généralisés, il convient de se préoccuper au plus vite de faire payer les usages privés de nos biens communs.
Conclusion :
Si, s’agissant de production d’électricité modulable et d’origine renouvelable, nous, environnementalistes, pouvons admettre des impacts très marginaux et parfaitement compensés (tant écologiquement que financièrement), il ne nous est cependant pas possible de donner un avis favorable à un texte bâclé, largement incomplet et qui met la charrue avant les bœufs. On a, une fois encore, « fait pour faire » mais la copie est à revoir.
Il est de notre devoir d’informer élus et grand public : les équipements hydrauliques, barrages et retenues notamment, ont des effets biotiques et abiotiques, locaux et distants. Ils provoquent un effet barrière et altèrent les processus hydrologiques et géomorphologiques, ainsi que la qualité de l’eau et modifient les habitats, autant de faits impactant fortement faune et flore.
Nous rappelons que les cours d’eau de Nouvelle-Calédonie sont internationalement reconnus comme hébergeant une biodiversité remarquable (groupes très divers : algues, angiospermes, diatomées, mollusques, poissons, larves, zooplancton, crustacés… + groupes associés de la ripisylve, notamment végétaux et avifaune). Notre degré de vigilance doit donc être à la hauteur de ces indiscutables enjeux de conservation.
C’est pourquoi nous demandons la prise en compte dès ce stade préparatoire des questions environnementales et de sécurité, nombreuses et d’importance, afin de maximiser les effets positifs et minimiser les effets négatifs. Compte tenu de la désastreuse répartition des compétences néocalédonienne, l’examen d’un texte concernant l’hydroélectricité devrait être précédé des réformes des codes de l’environnement provinciaux existants de façon à y inclure les barrages, retenues et autres aménagements des cours d’eau dans la liste des ICPE**.
La loi Grenelle 1 (datant de 2009 ! 7 ans après, on attend encore l’équivalent calédonien…) stipule que les procédures de décision publique doivent désormais permettre de « privilégier les solutions respectueuses de l’environnement, en apportant la preuve qu’une décision alternative plus favorable à l’environnement est impossible à coût raisonnable ». Cela devrait être clairement exprimé par le gouvernement de la NC.
Nous rappelons aussi que compte tenu des connaissances scientifiques et techniques acquises, il est désormais admis que « tout n’est pas compensable »...
Nous indiquons aussi que les changements socio-économiques et climatiques en cours et à venir doivent eux aussi être pris en compte dans les durées d’autorisation et de de concession. On change d’ère, il faut l’admettre et s’employer à s’adapter aux nouvelles conditions…
Outre l’évaluation énergétique et environnementale, c’est donc une analyse holistique des conséquences des aménagements qu’il faut conduire. Un projet ne doit être approuvé par l’autorité que s’il est démontré qu’il est justifié au regard d’un intérêt public majeur, c’est-à-dire qu’il apporte un gain significatif socioéconomique et environnemental à long terme ; l’intensité du gain collectif doit être d’autant plus importante que l’atteinte à l’environnement est forte et la réversibilité faible. Le gouvernement de la NC ne peut donc décider seul de ce qu’il est possible de faire ou pas en matière de production hydroélectrique… Il faut que les provinces compétentes en matière d’environnement soient concertées et se mettent au diapason notamment aux plans réglementaire et scientifique. Nous attendons par exemple d’elles l’énoncé des mesures de réduction des impacts environnementaux (ex. modalité d’ouverture des vannes et de chasses, amplitude des débits d’éclusée, mise en place de barrage « démodulateur » à l’aval etc.) et de leur compensation ainsi que la définition des grandes hydroécorégions de Nouvelle-Calédonie sur des critères climatiques, hydrographiques, hydrologiques, géomorphologiques, géologiques et écologiques. Et que, cela fait, on s’inquiète de leur construire intelligemment un plan de gestion (eaux de surface -douces, saumâtres et marines- et souterraines).
Nous attendons aussi la mise en place d’une police de l’eau (cf titre I du livre 2 du code de l’environnement hexagonal, article 214-1).
Nous précisons enfin que dans le cadre de la loi WARSMANN d’allègement des procédures administratives, ce sont les autorisations eau qui valent autorisation énergie (décret 2014-750 du 1.07.2014).
Pour EPLP, la présidente,
Martine Cornaille
* la destruction d’un barrage libère dans l’aval du cours d’eau des sédiments, éventuellement toxiques (MeHg, Cr VI…) qu’il a accumulés pendant des décennies voire des siècles.
Retrouver l’environnement initial ne semble pas possible. La récupération se produit avec des temps de réponse différents selon les groupes d’êtres vivants considérés :
- quelques mois pour les macroinvertébrés
- plusieurs siècles pour les arbres de la ripisylve…
Le potentiel de restauration écologique est lié à la sensibilité particulière des organismes présents, aux caractéristiques et conditions de démolition du barrage ainsi qu’aux conditions géomorphologiques locales du bassin versant. Ces informations sont essentielles pour prévoir si et comment on pourra supprimer le barrage.
** un barrage n’est pas un « simple mur » plus ou moins solide. Il n’est pas inerte et doit faire l’objet d’une surveillance technique, sismologique sous plusieurs critères :
- maintenance, défauts de… et obsolescence des matériaux
- crues
- accidents, mouvements et glissements de terrains
- sismicité (NC à risque !).
Le taux de rupture au XX° siècle est de 1 par an sur un parc de 16 000 barrages (Chine exclue). Il convient donc de réaliser des études de danger et des PPI (classement en fonction de la hauteur du mur dans l’hexagone -2, 5, 10, 20 m).