Voici environ deux ans que l’ASSNC (Agence sanitaire et sociale de la Nouvelle-Calédonie) a mis en place sur notre territoire le « dépistage organisé du cancer du sein par mammographie ». Il s’adresse à toutes les femmes de Calédonie de 50 à 74 ans. Ce dépistage fait l’objet d’une intense campagne médiatique destinée à faire participer le maximum de femmes. En effet, un taux de 70% de participation est visé par les autorités sanitaires afin de rendre cette prévention « efficace ».
Les médecins du service public ont donc « fait l’article » et se sont répandus dans tous les médias en affirmant que ce dépistage « sauve des vies en l’absence de moyens de prévention du cancer du sein»(1). Comme en métropole, ils ont fait du mois d’octobre le mois « rose » (le rose, c’est craquant pour les filles !) et ont vanté aux femmes un « moment sérénité »…
A ce jour, il ne nous est pas encore possible de connaître la pertinence de ce dépistage organisé en Nouvelle-Calédonie puisque les résultats des deux premières années de campagne ne seront dépouillés que fin 2012 par la DASS. Il n’est donc pas question de remettre en cause (en tout cas pas encore) le principe de ce dépistage en NC. Mais de s’élever avec force CONTRE l’érosion de l’exigence pourtant incontournable du consentement informé des femmes qui fait d’elles des êtres dociles (mais écervelés), bref, de s’élever contre la manipulation des femmes auxquelles « on » ne dit pas toute la vérité. Jugez-en…
Le dépistage organisé du cancer du sein fait l’objet de très nombreuses critiques dans le monde. Il est établi que son développement repose sur des études de piètre qualité.
Les surdiagnostics et les surtraitements (2) qui en découlent ne sont, eux, niés par personne car ils sont inhérents à tout dépistage. Ils sont cependant à l’origine de dégâts très préoccupants pour les femmes ayant à les subir.
De la méta-analyse Cochrane, il ressort que, pour sauver la vie d’UNE femme, il faut effectuer 2 000 mammographies mais que, ce faisant, 200 femmes subiront des examens complémentaires, dont certains, parce qu’ils sont contondants, peuvent à eux seuls changer la nature de la tumeur (bénigne à maligne)… Elles connaîtront donc au minimum de longues semaines de stress intense pour rien. Dans le même temps, 20 femmes subiront des traitements lourds, voire des mutilations inutiles… A ce tableau déjà peu reluisant, il faut ajouter les faux-négatifs (limites de lecture) qui donneront aux femmes, à tort entre deux mammographies, un problématique sentiment de sécurité qui pourra les amener à négliger des signes cliniques qui, en d’autres circonstances, les auraient alertées... Il faut ajouter aussi les cancers radio-induits (3) (= provoqués par le rayonnement X du mammographe) d’autant plus nombreux que le nombre de mammographies réalisées est élevé, donc directement lié au « succès » de la campagne…
Au final, cela fait beaucoup de grosses perdantes pour une seule gagnante…
Pourquoi la promotion officielle de la mammographie ne donne-t-elle aucun écho à des inconvénients aussi patents ? D’aucuns diront que le pouvoir médical est misogyne…
Avec la revue Prescrire (seule revue médicale française indépendante des lobbys médico-pharmaceutiques), nous disons que le choix de faire un dépistage mammographique appartient aux femmes, et à elles seules (4). Il en découle pour l’Agence sanitaire et sociale de la NC et, au-delà, pour tous les praticiens l’ardente obligation de délivrer aux femmes une information pleine, sincère, ni alarmiste ni démobilisante, faisant ressortir les éventuels bienfaits du dépistage mais aussi ses éventuels inconvénients.
A défaut, les femmes, victimes de désinformation, comme leurs compagnons et leurs ami(e)s qui les encouragent à participer car tous veulent leur bien, les femmes donc continueront à se diriger vers les cabinets de radiologie pour traquer la plus petite image possible de cancer, avec pour but d'éviter le pire, pire qu’elles rencontreront peut-être du seul fait de leur obéissance...
J’ai demandé à rencontrer le Dr Rouchon (direction ASSNC) afin de lui faire part (une nouvelle fois) de mes préoccupations en matière d’information des femmes. Même s’il a dit plusieurs fois « vous avez raison », le débat a été houleux car il lui a été dur d’entendre que des pratiques marketing étaient indignes dans le cadre de l’objectif poursuivi. Interroger un médecin sur la pertinence et la qualité de ses actes est souvent vécu par lui comme une insulte. Bienheureux donc ceux qui seraient les seuls infaillibles ! Et pauvres de nous, pauvres ignorants…
Il est à noter que dans la colonne « plus » de ce dépistage, le Dr Rouchon a fait valoir que l’organisation de la campagne a induit une démarche qualité dans la filière de soins concernée (mise à niveau des appareillages, recueil et évaluation des résultats…). Cela m’a atterrée ! Je considère en effet que cette mise à niveau n’aurait, bien évidemment, pas dû attendre le dépistage organisé !
Bref, pour les femmes, la détection précoce n’est pas toujours une chance, elle peut même être une sérieuse perte de chance. Fabriquer l’opinion par un matraquage publicitaire, la manipuler avec l’argument d’autorité du médecin, y ajouter quelques clichés et le levier de la peur et voilà, le tour est joué ! Les femmes en viennent à considérer qu’elles effectuent un acte de liberté devant ce qu’on leur impose. Si l’analyse des résultats des deux premières années de campagne locales permet de conclure à un réel effet positif du dépistage organisé sur la santé des femmes calédoniennes, alors il sera poursuivi. Espérons que, le cas échéant, les femmes appelées à y participer pourront se déterminer en toute connaissance de cause - même si, pour certaines, cela signifiera quitter à regret une forme de confort pour accéder à la responsabilité.
Le « système » façonne et reproduit des constructions sociales fallacieuses et très difficiles à combattre ; « la mammo m’a sauvé la vie» en est une…
Pour EPLP, Martine Cornaille
(1) Assertion FAUSSE ! Des facteurs environnementaux auxquels on peut choisir de ne pas être exposé-e sont connus. Cela, il faut le faire savoir aux femmes !
(2) Surdiagnostic : il s’agit d’un cancer détecté par mammographie, d’évolution très lente, qui n’aurait pas fait parler de lui du vivant de la femme. Le fait de le détecter n’entraîne donc aucun bénéfice de survie. Dans l’état actuel des connaissances, il n’est pas possible de déterminer l’agressivité d’un cancer de petite taille. Ainsi tous les cancers détectés sont traités. On parle alors de sur-traitement.
Extrait revue Médecine n° 8, octobre 2006: « Duperray et Junod analysent l'ampleur du phénomène de surdiagnostic : un seul cancer guéri pour un cancer létal en 1980, trois cancers guéris pour un cancer létal en 2000, «progrès» invraisemblable qui implique que le dépistage systématique a intégré aux cancers incidents nombre de cancers invasifs lentement évolutifs, ou régressant spontanément, ou des cancers in situ qui n'auraient jamais évolué ».
(3) Le sein est un organe particulièrement sensible aux effets des radiations ionisantes. Une étude britannique estime à 91 pour 100 000 les décès par cancer induit si une mammographie est proposée tous les trois ans aux femmes à partir de 20 ans, et à 11 sur 100 000 si le dépistage n'est proposé qu'à partir de 50 ans.
(4) Extrait revue Prescrire 2006;26:269-75, « Les effets indésirables qu'entraîne inévitablement la réalisation de mammographies régulières sont à prendre en compte et nécessitent une information claire des participantes ». Légalement, le droit à l’information (loi du 4 mars 2002) s’applique tant aux actes de soins que de prévention. Le Code de la santé publique stipule en son article R.4127-35 que « Le médecin DOIT à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il CONSEILLE une information LOYALE, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose ».