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«Je conseille de ne pas se baigner à Nouméa». 12 novembre 2013

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«Je conseille de ne pas se baigner à Nouméa». 12 novembre 2013   Jérémie Langlet, chercheur en Nouvelle-Zélande, a présenté, la semaine dernière, les résultats de son étude sur la qualité de l’eau de baignade à l’Anse-Vata. Pour la première fois, il a démontré la présence récurrente de virus responsables de la gastro-entérite sur la plage la plus touristique de Nouméa.   Les Nouvelles calédoniennes : Votre étude a montré une pollution régulière de l’eau à l’Anse-Vata. Pouvez-vous nous en dire davantage? Jérémie Langlet : Effectivement, nous avons mesuré sur un an une importante concentration de virus responsables de la gastro-entérite dans les eaux de baignade de Nouméa et notamment à Magenta et à l’Anse-Vata. Suivant les concentrations, ça représente un risque, surtout chez les enfants qui boivent régulièrement la tasse. La contamination peut aussi se faire en respirant au-dessus de l’eau ou en consommant des bivalves ramassés à cet endroit. Les fruits de mer concentrent de façon très efficace ce type de pollution. De quel type de virus s’agit-il ? Nous avons testé huit virus différents dont le norovirus, le principal responsable de la gastro-entérite dans le monde. Les résultats sont variables suivant les échantillons analysés mais pour faire simple, on a retrouvé jusqu’à 10 000 virus (norovirus, rotavirus et polyomavirus, NDLR) par litre d’eau de mer sur certains échantillons. On sait qu’un enfant peut boire jusqu’à 50 millilitres d’eau de mer quand il se baigne. Dans 50 millilitres, il y a 500 virus. Il faut environ 20 virus pour être infecté, ça fait 25 fois la dose infectieuse. La municipalité effectue pourtant des contrôles réguliers, comment peut-elle passer à côté de cette pollution ? La ville de Nouméa effectue des analyses bactériennes. Quand les taux de bactéries sont anormaux, les plages sont temporairement interdites car c’est le signe d’une pollution fécale. Mais lorsque ce taux redevient correct, cela ne signifie pas que tout va bien. Il peut y avoir une pollution virale, ce qui est fréquent car la présence de virus n’est pas corrélée à celle des bactéries. Pourquoi n’y a-t-il pas d’analyses des virus entériques ? Car il n’y a pas de laboratoire qui puisse le faire en Calédonie. On est quasiment les seuls à réaliser ces analyses dans le Pacifique. Analyser des bactéries, tout le monde peut le faire. C’est beaucoup plus compliqué pour des virus. Il n’y a rien de secret mais c’est difficile à mettre en œuvre. Il faut de la place et des personnes formées. L’institut Pasteur est extrêmement intéressé mais il lui est impossible de développer ces méthodes, étant donné l’espace dont il dispose. Comment avez-vous mené votre étude ? Une première campagne de prélèvements a été réalisée en avril 2012 sur tout le territoire, y compris en province Nord. Le but était d’avoir une vue d’ensemble de la pollution des eaux de baignade. Nous avons ensuite sélectionné un seul point pour une étude sur un an car nous n’avions pas les moyens financiers de la réaliser partout. Nous avons choisi l’Anse-Vata pour plusieurs raisons. D’abord, la station d’épuration était celle qui traitait le plus grand nombre de rejets d’habitations sur Nouméa. Ensuite, parce que le traitement est censé être l’un des plus efficaces. La désinfection se fait par traitement UV avant la dilution dans l’étang de l’hippodrome et relargage au niveau de l’arroyo sur l’Anse-Vata. Comment ont été effectués les prélèvements ? Ils ont été effectués chaque mois pendant un an au niveau de la station d’épuration - ce sont les échantillons bruts - et à proximité de l’arroyo, sur la plage. Les échantillons bruts ont été prélevés par les agents de la Calédonienne des Eaux mais je n’ai pas trouvé le personnel pour prendre les échantillons sur la plage de l’Anse-Vata. C’est donc les membres de l’association EPLP qui l’ont fait pour moi. Ils les amenaient à la Calédonienne des Eaux qui nous les envoyait à Wellington pour analyse. Les virus entériques ont-ils été retrouvés dans tous les échantillons ? Le virus de l’hépatite A n’a pas été retrouvé dans les échantillons bruts. En revanche, les autres ont été détectés à plusieurs reprises et en concentrations variées dans les eaux de baignade. On ne peut pas donner de valeurs moyennes car ce sont des mesures ponctuelles mais certains virus sont présents quasiment à chaque fois. On imagine pouvoir trouver des valeurs plus grandes car les prélèvements n’ont pas été effectués après des événements pluvieux. On sait qu’après chaque pluie, même minime, les stations d’épuration n’arrivent pas à gérer l’excès d’eau. Il y a donc davantage de pollution fécale dans l’eau de mer dans les quelques jours qui suivent. Y a-t-il une zone dans laquelle on peut se baigner sans risque à l’Anse-Vata ? C’est difficile à dire car les virus ne s’arrêtent pas à une ligne, ils bougent en fonction des courants et ça peut changer d’une heure à l’autre. Les complexes hôteliers qui se trouvent tout le long de la plage rejettent aussi probablement des virus par les canalisations. De toute façon, sur Nouméa, seulement 30 % des eaux usées sont traitées en station d’épuration et les plus anciennes ne peuvent pas éliminer les virus. Personnellement, quand je connais des personnes qui viennent en Nouvelle-Calédonie, je leur conseille de ne pas se baigner sur les plages de Nouméa. Sur l’île aux Canards, je pense que ça va. A l’îlot Maître, tout dépend où se situe la canalisation. Pourquoi retrouve-t-on une grande quantité de virus entériques au niveau de la station d’épuration ? Pour que ça arrive dans les stations, il faut que les personnes soient infectées. Elles présentent des symptômes ou non. Pour le norovirus par exemple, le temps d’incubation est d’une demi-journée à deux jours. Les symptômes communs sont des vomissements, diarrhées, crampes, douleurs intestinales avec beaucoup de déshydratation. Lorsque ces personnes tirent la chasse d’eau, elles rejettent jusqu’à 100 milliards de virus par gramme de matière fécale. Et pas uniquement pendant les symptômes mais jusqu’à trois ou quatre semaines après. Les virus peuvent-ils être libérés en se baignant pendant cette période ? Tout à fait. D’ailleurs, en Nouvelle-Zélande, il y a toujours une pancarte indiquant qu’il est interdit de se baigner dans les piscines jusqu’à 14 jours après une gastro-entérite. En Nouvelle-Calédonie, il faudrait déjà faire de la prévention et communiquer à ce sujet. Rappeler qu’il faut se laver les mains régulièrement et laver les aliments avant de manger. Ne pas aller à la piscine si on a été contaminé par le virus et ne pas faire pipi dans une piscine ou dans l’eau de mer car le polyomavirus s’excrète par l’urine. Les recherches que vous avez entamées vont-elles se poursuivre ? Le projet de recherche s’arrête car nous avons, pour la première fois, démontrer la présence de ces virus, notamment des norovirus. Maintenant, la balle est dans le camp des autorités locales. Cette étude a été réalisée de manière indépendante par l’institut de recherche de Wellington. Son parcours
  • Titulaire d’un doctorat en environnement et santé de l’université de Nancy.
  • Chercheur à l’université de Nancy puis chercheur en virologie clinique au Laboratoire de santé (LNS) du Luxembourg.
  • Travaille depuis presque quatre ans à l’ESR (Institut de recherche et de science environnementale) de Wellington, en tant que chercheur en virologie clinique, environnementale et alimentaire.
  • Dans le cadre de ses recherches, il collabore avec l’institut Pasteur de Nouméa, la Dass-NC, EPLP, la province Nord, la Communauté du Pacifique Sud et la Calédonienne des Eaux.
  • Prépare actuellement un master « Science Commercialisation and Entrepreneurship » à l’University of Auckland Business school.
Source: Les Nouvelles Calédoniennes.