Lecture critique du « Plan sylviculture Province sud », un plan qui n’a pas grand-chose de durable…
En introduction, commençons par dénoncer un contresens qui ne laisse aucun doute sur le niveau de culture des rédacteurs du plan en matière d’écologie: la NC est décrite dans la production provinciale comme un « hot spot » et cela est pour les rédacteurs un titre de gloire… Ils ignorent manifestement que c’est au contraire un réel sujet de préoccupation puisque ce concept met en exergue la menace particulièrement grave liée aux activités humaines sur la biodiversité de ces points chauds… De la part de spécialistes se targuant de durabilité, on est en droit d’attendre mieux. (On note par ailleurs que les spécialistes en question ne sont pas qu’à la DDR mais aussi au CNRT !).
- Sur les préconisations
1) le pin caraïbe figure dans la liste des espèces sélectionnées dans ce plan sylvicole. Mais c’est une espèce envahissante susceptible de favoriser grandement la propagation des feux !!!! Et qui demande l’utilisation de beaucoup d’engrais chimiques (cf page 68).
Nous considérons que ces caractères lui interdisent dorénavant d’être dispersée volontairement sur notre territoire. Et nous demandons au contraire à ce qu’une éradication soit entreprise dans des zones à fort potentiel (écologique mais aussi touristique comme à l’île des Pins). Si dans les années 70, des plantations ont été réalisées avec cette espèce, il n’est plus question à l’heure actuelle de continuer à l’identique sachant ce que l’on sait aujourd’hui.
2) la hiérarchie des questions posées en page 30 n’est pas la nôtre… Les n°s 4 et 5, pourtant prioritaires sont reléguées en queue…
3) page 32 : si le discours tenu ici s’applique à de la forêt cultivée et pas naturelle, alors il est mensonger. Un « écosystème forestier naturel » est autrement plus complexe qu’une parcelle boisée avec UNE seule espèce… Le discours est aussi très suffisant : l’Homme a-t-il vraiment la capacité d’améliorer « l’ensemble des fonctions (remplies) par la forêt » (à moins de l’avoir dégradée lui-même, directement ou indirectement, auparavant !) ? Il est aujourd’hui établi (mais manifestement pas su de tous…) que les systèmes vivants naturels qui se maintiennent de toute éternité y parviennent parce qu’ils sont au top de la performance ! C’est ainsi que pour leur durabilité, les activités humaines doivent s’inscrire dans le biomimétisme, c'est-à-dire qu’elles doivent se calquer sur les organisations et processus naturels. Pour notre bien à tous, il faudrait que les responsables de ce projet se mettent à la page et retrouvent un peu d’humilité…
4) on lit page 38 : « la préservation de la biodiversité est l’un des critères de la gestion forestière durable ». Cela est bien posé mais alors pourquoi à la page précédente n’avoir traité que de plantations MONOSPECIFIQUES (avec l’indication du nombre d’individus par hectare) ? Et pourquoi lorsqu’ est évoquée la plantation plurispécifique, tempérer aussitôt le propos en ajoutant « la gestion de ce type de plantation sera plus complexe » ? Pourquoi ce bémol inquiétant, voire dissuasif et pas de dièses encourageants telles que les mentions suivantes :
- les plantations mélangées présentent une meilleure résistance aux maladies et aux événements climatiques extrêmes ; elles augmentent considérablement et incomparablement la biodiversité en se rapprochant d’un écosystème naturel (le fameux « biomimétisme » cité plus haut). Connaissez-vous en Nouvelle-Calédonie une formation forestière monospécifique ? Non ! Alors l’évidence est là : la Nature n’en veut pas et elle a de bonnes raisons pour cela !
5) page 41 : « les vergers à graines produisent des clones » (un clone est une population d’individus ayant tous le même patrimoine génétique) alors que la nécessaire diversité génétique est rappelée en page 17 ! Vous avez dit contradiction ?!
6) page 42 : la possibilité indiquée ici de se procurer des graines de pins Caraïbes auprès de l’IAC et du CEFPBL nous inquiète ! Il faut d’abord s’assurer que nous sommes en capacité de gérer l’invasion actuelle ! (voir aussi 2 ci-dessus)
7) page 54 : la préparation du sol serait « essentielle » pour « réaliser un gain important en production ». Est-ce bien vrai à l’heure où cette pratique en agriculture est de plus en plus décriée et abandonnée au profit du semis direct par exemple ? Vous avez dit modernité ?!
Page 57 : « décompactage ». Et on continue avec des méthodes brutales qui abîment le sol ! Plus loin : « En aucun cas il ne faut bouleverser les horizons ». Mais n’est-ce pas le résultat des pratiques de labour ?
Il nous paraît inconcevable de reproduire en sylviculture les erreurs commises en agriculture conventionnelle. Et pourtant, avec ce plan, nous en sommes bien là ! Sans compter que rien n’indique que les précautions à prendre pour cette préparation du sol le seront effectivement, d’où de nouveaux problèmes (tassement, destruction de la structure du sol…).
8) page 56 « fertilisation initiale » au « superphosphate triple »… Et voilà les engrais de synthèse issus de la pétrochimie, chers, fragilisant les végétaux et détruisant la Vie du sol ! Sans parler du bilan carbone !!!! Est-ce cela une filière durable ?
Et l’on aime l’indication suivante : « la fertilisation peut conduire à une légère diminution de la densité (du bois) ». Ah oui ? Et avec quelle conséquence ? Une plus grande fragilité face aux insectes ! Lors de la culture puis à l’usage ! Donc des traitements plus nombreux, plus agressifs avec des pesticides ! Mais pourquoi n’est-ce pas clairement dit ? Ce qui gêne la démonstration est-il volontairement passé sous silence afin de ne pas la déconstruire ? Ne faut-il pas peser le pour et le contre, instruire à charge et à décharge afin de décider de la meilleure option ? Pas très honnête cette façon de procéder…
Page 62 : à nouveau fertilisation chimique au 17.17.17. Il nous semble que si les choix de lieu et d’espèces sont bien conduits et si l’on a veillé à conserver au sol sa matière organique, cela est INUTILE en plus d’être financièrement et environnementalement très coûteux !)
Page 65. Après la fertilisation chimique, voilà la sœur, la lutte chimique !
Page 67 : « sylvopastoralisme ». Très bien ! Cité, sans plus… pourtant ses avantages sont nombreux !
Et dans la même veine, pourquoi ne pas évoquer dans ce volume l’agroforesterie ?
Ce sont là deux pratiques à faire connaître et à développer car ELLES au moins sont durables !
9) page 77 : les coûts de la préparation du terrain. TOUTES ces dépenses sont inutiles, voire dangereuses ! Même si elles font tourner le commerce des tracteurs et des carburants !
10) page 79 : traitements à base de fongicides et d’insecticides. Afin de limiter au maximum, voire de se passer de l’utilisation de tels poisons que l’on retrouvera tôt ou tard dans nos maisons, dans l’eau, dans les sols, nos organismes, il faut être très exigeant sur les lieux de culture, la sélection initiale des espèces et préférer les plantations combinées ! CQFD !
- Sur le moment de l’engagement…
La NC importe 80% du bois qu’elle consomme. Certes. Mais depuis quand ? Depuis très, très longtemps !
Or, on lit page 18 que « les espèces forestières indigènes ou endémiques à potentiel économique sont nombreuses ». Mais qu’a-t-on attendu pour les valoriser ?!
S’agissant d’investissements de long, voire de très long termes et d’une équipe exécutive en place au même poste de toute éternité ou presque, il est plus que temps qu’elle se mobilise fortement pour cette filière durable…
Cet engagement bien tardif ne serait-il que d’opportunité politique à l’heure où le développement durable est « à la mode » et à l’approche d’élections ?
Mais pour « vendre » un projet durable, encore faut-il savoir de quoi l’on parle et c’est là que le bât blesse pour des convertis de fraîche date…
Conclusion : nous appelons urgemment à la conversion écologique de l’économie et, pour ce faire, au développement de filières économiques durables comme absolue nécessité.
La sylviculture PEUT en être une à condition de dépasser les croyances du passé et d’intégrer les derniers développements de la science. Pratiquer la sylviculture comme l’agriculture au siècle dernier, de façon intensive, avec travail du sol par engins lourds, engrais chimiques et pesticides est une hérésie au 21° siècle. Il semble que les « spécialistes » du développement rural de la Province sud l’ignorent… Nous le déplorons et espérons que cette contribution leur permettra de faire leur révolution culturelle et de revoir leurs préconisations.
Pour EPLP, Martine CORNAILLE
Plan téléchargeable ici
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