Au vu des informations dont EPLP dispose à ce jour, il nous a semblé urgent de produire ce manuel à l’usage des industriels cancres.
Avant l’ « incident » :
Règle n°1 : Priorisez les indicateurs de performance financiers pour définir la stratégie d’une usine Seveso. Les autres indicateurs tels que le taux d’accident du travail sont secondaires pour la production.
Règle n°2 : Parlez-en beaucoup et à tous mais travaillez sans éthique. C’est bien connu, l’éthique empêche d’avancer et de générer des bons résultats.
Règle n°3 : Limitez vos prévisions de production et votre vision managériale à 3 mois. Une approche à trop long-terme relève de la nécromancie.
Règle n°4 : Privilégiez un unique but pour l’ensemble des employés, quels que soient leurs services : la production de l’usine. Faites leur comprendre que tout doit être mis en oeuvre pour permettre la tenue des objectifs fixés en termes de tonnages à produire. Chaque service doit donc être intéressé sur la base de cet unique critère, le Graal en quelque sorte.
Règle n°5 : Placez les services opérationnels sur un piédestal. Ne donnez aucun pouvoir de décision aux services annexes tels que l’environnement, la sécurité, les ressources humaines ou le contrôle de gestion... Cela n’est que perte de temps, ces services étant des centres de coûts EPLP, N'Géa - BP 32008 - 98 897 NOUMEA Cedex - NOUVELLE-CALEDONIE Site internet : http://eplp.asso.nc – Courriel : eplp.asso@gmail.com Page 2/4
qui n’apportent rien à l’usine. Faites-leur bien comprendre leur rôle exclusif de support au service de la production.
Règle n°6 : Empêchez les services annexes de faire leur travail si cela perturbe la production. Rien ne doit entamer les chances d’atteindre les objectifs de production exigés par les actionnaires.
Règle n°7 : Isolez les éléments perturbateurs qui utiliseraient leur esprit critique pour alerter la direction sur des défaillances. Il faut les faire taire et leur préférer les Moutons de Panurge. Le recours au licenciement peut et doit être envisagé.
Règle n°8 : Choisissez un Directeur Général uniquement sur la base de critères de connaissances juridiques et financières.
Les qualités techniques et managériales, la capacité à avoir une approche globale ou encore la maîtrise des spécificités du territoire où est implantée l’usine, ne sont que marginales dans les compétences d’un Directeur Général.
Règle n°9 : Pratiquez le népotisme dans le management en plaçant vos alliés aux postes clefs. Vous ne serez ainsi jamais contredit dans vos décisions ce qui assoira votre autorité.
Règle n°10 : Définissez une hiérarchie avec un petit groupe de Happy Few qui dirige l’ensemble de l’usine. Il est important de limiter le nombre de cadres. D’ailleurs pour donner le statut de demi-dieux aux directeurs, il ne faut aucun responsable intermédiaire entre eux et les petites mains.
Règle n°11 : Ne tenez pas compte des remontées d’informations qui viennent du terrain. Préférez- leur les brillantes analyses proposées par les directeurs qui ne voient pas ou peu, le terrain.
Règle n°12 : Ne vous remettez jamais en question parce que ce serait un aveu de faiblesse et vous n’êtes pas faible ! Un chef est forcément fort. Faites vôtre ce slogan : le changement ce n’est pas maintenant. En effet changer constitue une perte de temps.
Convainquez-vous que l’organisation en place est la plus adéquate possible malgré quelques petits « incidents » que vous n’aurez aucune difficulté à nier ; au pire vous les minimiserez.
Règle n°13 : Concevez un système de gestion des Ressources Humaines inutile. La clef de la réussite réside dans l’aptitude à faire croire aux employés que leur progression de carrière est au coeur des préoccupations de l’entreprise. Au final, ils stagneront à leur poste et s’en contenteront bien tant qu’ils reçoivent une prime décente.
Règle n°14 : Ne vous embêtez pas à former vos collaborateurs. C’est une perte d’argent et de temps pour des personnes qui sont censées être parfaitement compétentes pour leur poste. Sinon à quoi servirait la formation initiale?
A partir de ces 14 règles, c’est déjà bien, vous avez créé une usine avec un processus fiable pour produire … des « incidents ». EPLP, N'Géa - BP 32008 - 98 897 NOUMEA Cedex - NOUVELLE-CALEDONIE Site internet : http://eplp.asso.nc – Courriel : eplp.asso@gmail.com Page 3/4
Après l’ « incident » :
Règle n°15 : Désignez le plus rapidement possible un ou plusieurs boucs émissaires. Pour information, moins la personne est gradée, plus facilement elle endossera toute la responsabilité de l’incident car elle n’aura pas les moyens de se défendre.
Règle n°16 : Envoyez vos propres équipes pour mener une enquête sur place, cela vous permet de garder la main mise sur les conclusions de l’enquête. Prenez bien soin de renvoyer chez elles les personnes susceptibles de témoigner en votre défaveur.
Règle n°17 : Arrêtez-vous à ce qui semble évident dans l’enquête. Pousser les raisonnements trop loin donne mal aux cheveux.
Règle n°18 : Lors de sa relecture, corrigez les passages du rapport d’enquête qui pourraient pointer du doigt des défaillances lourdes dans le fonctionnement de l’usine. Il est impératif de filtrer l’information qui va parvenir aux personnes extérieures.
Règle n°19 : Préparez un autre rapport que vous ferez passer pour le vrai rapport d’enquête et qui sera présenté publiquement sur une dizaine de pages dont 8 exclusivement avec des « images ». Il ne faut donner que le strict minimum d’informations au public et aux parties prenantes. En effet le risque est de perdre les gens et de leur embrouiller le cerveau avec trop de données.
Règle n°20 : N’axez surtout pas la communication sur les causes de l’incident. Faites plutôt des annonces chiffrées de budget alloué pour des causes nobles telles que la protection de l’environnement et le soutien aux communautés par exemple. Cela permet d’occulter le sujet qui fâche et de soigner l’image de l’usine dans les médias.
Règle n°21 : Brouillez les pistes en détournant l’attention des politiques et de l’opinion publique. Par exemple il est possible d’organiser des comités de désinformation ou encore d’épiloguer plusieurs heures sur la venue d’une mission d’enquête INERIS qui porte en réalité sur un autre sujet.
Règle n°22 : Organisez une petite trentaine de réunions/comités/colloques/sommets pour présenter de grandes décisions stratégiques prises suite au « petit incident ». Naturellement les points de développement décrits lors de ces rencontres ne seront que des redites d’autres réunions tenues quelques mois ou années auparavant alors qu’un autre « petit incident » avait eu lieu.
Règle n°23 : Ne tardez pas à vous lancer dans des semblants d’actions correctrices sur lesquelles une communication intarissable sera faite. Cela aura l’avantage de faire croire que vous êtes proactif, voire l’industriel providentiel…
Règle n°24 : Utilisez l’incident et ses conséquences pour apitoyer ceux qui pourraient vous demander des comptes comme les autorités ou les syndicats par exemple. En effet vous pouvez leur faire part des difficultés financières rencontrées à la suite de l’incident et en profiter pour EPLP, N'Géa - BP 32008 - 98 897 NOUMEA Cedex - NOUVELLE-CALEDONIE Site internet : http://eplp.asso.nc – Courriel : eplp.asso@gmail.com Page 4/4
leur recommander de serrer les coudes et remonter les manches dans une situation évidemment déjà terriblement difficile.
Cela exige des qualités d’acteurs dignes des Oscars mais n’ayez crainte puisque vous avez déjà prouvé que vous aviez ce talent.
Règle n°25 : Entourez-vous de bons avocats pour tenter de passer l’étape judiciaire. Cette dernière est la plus incertaine compte tenu de votre passé mais le plus gros est derrière vous.
Avertissement :
Ce manuel à l’usage des industriels cancres est une invention complète de l’esprit chagrin de quelques citoyens environnementalistes.
Toute ressemblance avec les pratiques d’un industriel de la place ne serait que pure coïncidence.
Pour EPLP, la Présidente,
Martine Cornaille