Articles - Revue de presse

On veut éliminer les gêneurs !

Interview de Martine Cornaille parue dans Les Nouvelles Calédoniennes...

EPLP est l’une des rares associations de citoyens qui portent les questions d’environnement et de santé sur la place publique, voire en justice. En six ans, elle s’est taillé une réputation de défenseur de la société et en a récolté des difficultés. Points chauds avec sa présidente Martine Cornaille.

Les Nouvelles calédoniennes : EPLP a 6 ans, des batailles gagnées. Vous avez l’impression de passer pour la ou les gêneurs de service ?

Martine Cornaille : On est très soucieux de dire uniquement ce qu’on peut prouver. Pour les pesticides, par exemple, on a gagné tous nos recours en justice, sauf un qui est en appel. Ça prouve bien qu’on n’est pas des Ayatollahs et que nos demandes sont raisonnables. Sur ce sujet, on aurait même pu faire tomber tout l’édifice, on ne l’a pas fait. Pour le mercure, on ne veut absolument pas couler la filière pêche. On veut des préconisations de protection des consommateurs, comme c’est le cas ailleurs. Nous sommes une association de protection de la santé et de l’environnement. On nous demande d’être à la fois ingénieur halieutique, agronome, juriste, d’avoir toutes les compétences. Mais ce n’est pas possible. Pour monter des dossiers solides, on est obligés de faire appel à des experts. Et pour cela, on a besoin d’avoir accès aux documents administratifs publics pour pouvoir les soumettre aux experts. Quant à moi, on dit que je suis pressée, acariâtre. Mais je ne suis pas insupportable. Je veux juste faire prévaloir avec détermination qu’il y a une priorité folle : c’est que l’économie n’est qu’un moyen au service de l’homme. La cerise sur le gâteau, c’est que la SLN m’attaque personnellement en diffamation et pas en tant que présidente d’EPLP.

Vous dénoncez des difficultés d’accès à l’information publique.

L’information, c’est le pouvoir. Et oui, on nous prive d’information, parce qu’on est dans une gouvernance moyenâgeuse, où il n’y a pas de culture de la communication et où la démocratie est en panne. Premier exemple très factuel : Lorsque nous demandons la communication de documents administratifs en lien avec l’environnement, nos demandes ne sont pas traitées. Il faut systématiquement saisir la Commission d’accès aux documents administratifs en Métropole. Nous avons dû le faire dix fois en six mois contre la province Sud, la province Nord, des services du gouvernement. Nous avons reçu dix avis favorables. Mais tout ça, ce sont des démarches, du temps, de la fatigue. Et même après, il faut très souvent faire un recours devant le tribunal administratif en annulation de la décision implicite de refus des institutions ou des collectivités. C’est à nouveau de la paperasse. Et quand enfin nous obtenons les documents, ils risquent d’avoir moins de pertinence car le dossier n’est plus brûlant.

Les enquêtes publiques ne donnent pas non plus assez de voix aux citoyens ?

Depuis longtemps, on demande que les enquêtes publiques soient plus largement ouvertes aux Calédoniens. Et il nous semble que la meilleure façon serait de les publier en ligne pour que chacun puisse les consulter facilement On a tous des contraintes de travail et de famille qui nous empêchent de passer trois ou quatre heures en mairie ou en province. Certes, il n’y a pas d’obligation réglementaire de publier les documents en ligne, mais à partir du moment où on se targue d’être une démocratie et où ces documents existent déjà, on peut le faire. Par ailleurs, on s’est aperçu que les travaux étaient parfois engagés avant la clôture de l’enquête publique. Ça a été le cas pour l’échangeur de l’Etrier, pour la centrale à bitume de la ZAC Panda. Si l’administration sait déjà qu’elle ne va pas tenir compte des remarques des associations et des citoyens, qu’elle le dise. On ne perdra pas du temps à tenter de consulter les dossiers. Je vous cite un élu qui part en claquant la porte d’une réunion en nous disant : « Vous pouvez dire ce que vous voulez, de toute façon, ça se fera. »

EPLP peut au moins compter sur son poids grâce à ses représentations dans les organes consultatifs ?

On nous exclut de certains d’entre eux après des années de participation. Le dernier cas est l’Œil. C’est moi qui y représentais EPLP à la 2e vice-présidence du collège des associations de protection de l’environnement. Franchement, pendant trois ans, je n’ai pas ménagé ma peine. Y passant une dizaine d’heures par semaine. Et je ne pense pas avoir démérité. Lors du dernier conseil d’administration, il y a eu une collusion entre trois industriels, avec le soutien du directeur de Scalair pour nous éjecter. Et en nous éjectant de L’Œil, on nous éjecte de Scalair où j’y représentais l’Œil… Pour moi, il n’y a qu’une explication possible : c’est qu’on veut éliminer les gêneurs.

Il y a aussi les dossiers pour lesquels nous ne sommes pas associés malgré nos demandes, comme les Assises de la santé, où nous pourrions travailler sur la santé environnementale.

Dernier point à propos des organes consultatifs : leur composition est parfois viciée. Dans le Comité consultatif de l’environnement, les représentants des collectivités y sont majoritaires et en plus, la collectivité qui sollicite un avis conserve son droit de vote. C’est-à-dire qu’elle est à la fois juge et partie. Ça a été le cas avec le gouvernement pour les pesticides. Un avis favorable a été rendu à cinq voix contre quatre, la cinquième étant celle du gouvernement.

Pesticides, fuite d’acide à Vale : l’association agit souvent en justice. Comment financez-vous ces actions coûteuses ?

Je vais être très claire. On fonctionne avec 2 millions de francs par an, cotisations et subventions comprises. Notre local nous coûte 1 million. On en a besoin car nous sommes seize associations rassemblées, donc nombreux en réunion. Et notre festival du film Santé-Nature c’est 1 million aussi. On fait avec les moyens qu’on a. On n’a pas de quoi se payer une secrétaire à temps partiel. Les recours en justice, c’est nous qui les bricolons, et quand il faut un avocat nous faisons appel à nos adhérents. D’autres associations reçoivent bien plus de subventions. Ça ne me dérange pas, mais il faut que, nous aussi, nous puissions vivre. Mais je vous cite à nouveau une parole d’élu : « On ne va pas vous donner de l’argent pour que vous payiez vos avocats. » Mais enfin, cet argent n’est pas le leur. C’est de l’argent public !

Une administration peu coopérante, des relations tendues avec les décideurs. Qui vous soutient ?

D’abord, j’ajouterai qu’un certain nombre d’associations sont instrumentalisées par le pouvoir. Celui-ci les utilise pour satisfaire à ces obligations de consultation du public. C’est ce qui s’appelle l’ennemi de l’intérieur. Je vous conseille un livre très intéressant : Qui a tué l’écologie ? Plus sérieusement, je ne fais rien sans l’aval de mon conseil d’administration et en général les décisions sont prises à l’unanimité. Je rappelle, nous sommes seize associations. Quand je fais mes courses ou dans la rue, beaucoup de monde m’encourage. Mais nos ennemis sont nombreux et puissants. Le maintien de notre indépendance, compte tenu de la façon dont on fonctionne, ne peut que venir des Calédoniens, à coups de 100, de 1 000 francs de dons. On est éligible au mécénat : 60 % du montant du don peut être déduit des impôts. On va lancer un appel aux Calédoniens : est-ce qu’ils veulent qu’on essaye de continuer à faire vivre le petit contre-pouvoir qu’a EPLP ? Ou est-ce qu’ils considèrent qu’on est des gêneurs et que c’est bien qu’on disparaisse ? Si cet appel n’est pas entendu, eh bien, en 2013, on restera chez nous.

Bio Express :

Martine Cornaille est arrivée sur le Caillou le 4 février 1975. Boursière de la Nouvelle-Calédonie, elle a été élève professeur à Paris (université Pierre-et-Marie-Curie) entre 1981 et 1983. Professeur certifié du cadre territorial, elle a enseigné les Sciences de la vie et de la terre dans divers établissements de Nouvelle-Calédonie (Pouébo, Canala, La Foa, Nouméa), des Antilles-Guyane et de Métropole. Elle a terminé sa carrière au lycée Lapérouse en 2011. Elle est présidente d’EPLP depuis 2008.

L’association rassemble environ 200 membres individuels et 16 associations (Action Biosphère, Amu Keje, Association apicole des trois provinces, Association pour la sauvegarde de la nature néo-calédonienne, Codefsud, Codek, Dumbéa rivière vivante, Dayu Biik, Grévilléa, La Palmeraie, Les Amis du Carigou, Maleva, Méréara, Mocamana, Pirates, Point zéro bas

Une interview de Martine Cornaille au quotidien " Les Nouvelles Calédoniennes" . Article paru le vendredi 09 novembre 2012

Merci à Bérengère Nauleau,  journaliste aux Nouvelles pour l'autorisation de publication