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Chrome détritique : Ça se passe forcement près de chez vous

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Chrome détritique : Ça se passe forcement près de chez vous

Non à l’exploitation du chrome détritique !

EPLP a récemment lancé l’alerte sur la volonté de la société Geovic d’exploiter le chrome détritique en Nouvelle-Calédonie. Des articles de presse et un reportage télévisé se sont fait écho de notre alerte.

Cet article vous propose des renseignements plus précis pour bien comprendre notre mobilisation sur ce dossier et relayer notre action sur VOTRE terrain.

Qui est Geovic ?

Constituée en 2009 sur le territoire, la société Geovic Nouvelle-Calédonie est une filiale calédonienne de la compagnie minière Geovic Mining Corporation. Le diagramme ci-dessous présente la structure de l’ensemble de la société et de ses filiales, la plupart ayant leur siège social dans des paradis fiscaux notoires (Delaware, Colorado, Iles Cayman).

 

 

(configuration en date du 24 mars 2010 – source : www.geovic.net, onglet Financials – onglet annual Filings - fichier 2009 Annual Information Form – page 6)

 

Que vient faire Geovic en Nouvelle-Calédonie ?

La société Geovic Nouvelle-Calédonie SAS se positionne en Nouvelle-Calédonie sur l’exploitation du chrome détritique en zones littorales (estuaires, mangroves,…).

L’exploitation du chrome détritique est techniquement simple : le sable contenant la chromite est extrait,  puis ce sable est enrichi en chromite par exemple par un traitement gravimétrique / magnétique / électrostatique. Sur le littoral, le sable contenant la chromite peut être à terre (dépôt dans des zones estuariennes) ou sous-marin (dépôt dans des fonds de moins de 10 m). Sur terre, l’extraction est faite à l’aide de petits engins. Sous l’eau, l’extraction se fait à l’aide d’une suceuse montée sur une barge. L’enrichissement peut être effectué sur place juste après l’extraction (avec rejet de l’eau et du sable débarrassé de la chromite) ou après transport du sable à terre vers une unité de traitement. Le traitement à terre se termine par un séchage de la chromite par évaporation avant exportation.

La concentration en chromite attendue est supérieure à 54%, ce qui en ferait un produit de très grande qualité. Geovic table sur une production de 35 000 tonnes de chromite de haute qualité par an. Il n’y a pas de cotation internationale pour ce minerai très demandé, en particulier pour la fabrication d’acier inoxydable, mais également très disponible sur le marché. Les informations sur les prix de vente sont relativement confidentielles ; ceux-ci dépendent de la qualité, des quantités disponibles, de la régularité de l’approvisionnement (ce dernier point est important pour des fournisseurs situés en Afrique du Sud ou aux Philippines par exemple). A 1 000 US$  la tonne, le chiffre d’affaire s’élèverait à près de 3 milliards de francs par an.

 

 

Où en est l’installation de Geovic en Nouvelle-Calédonie ?

  • Une autorisation personnelle minière a été obtenue par Geovic dans chacune des provinces concernées, respectivement par délibération n° 2009-385/APN du 20 octobre 2009 en Province Nord et n° 10689-2009/BAPS/DIMENC du 30 octobre 2009 en Province Sud. Les Provinces lui ont accordé, sur dossiers, des autorisations personnelles minières valables pour le chrome et pour 60 périmètres équivalents non désignés.
  • Mi-2010, la société dépose 31 demandes d’octroi de permis de recherche, 12 en Province Nord et 19 en Province Sud, concernant des périmètres (carrés d’une superficie de 100 ha chacun) cartographiés dans les fichiers ci-dessous :

 

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Ces permis de recherche définiront les zones dans lesquelles la société pourra mener ses travaux de recherche.

Quelles sont les conditions d’octroi d’un permis de recherche ?

L’objet du permis de recherche est précisé à l’article Lp.122-1 du code minier : « Le permis de recherches minières confère à son titulaire, dans les limites de son périmètre en surface et indéfiniment en profondeur, un droit exclusif de prospection et de recherches des substances pour lesquelles il est délivré. »

Conformément à la réglementation, la demande est instruite pour la province compétente par le service en charge des mines, en l’occurrence la DIMENC. La procédure comprend :

-         l’examen de la recevabilité (articles R.112-15 du code minier et suivants)

-         une mise en concurrence telle que prévue à l’article Lp.122-4 du code minier, dont les modalités sont précisées à l’article R.122-4-3 du code minier.

Le projet de délibération octroyant le permis de recherche est ensuite soumis à :

-         la consultation du comité consultatif des mines conformément à l’article 41 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie

-         la consultation du conseil des mines conformément à l’article 42 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie

avant sa présentation pour adoption à l’assemblée de province compétente.

Comment ont été examinées les demandes de permis de recherche de Geovic ?

 

Le 13 octobre 2010, lors de l’examen des projets de délibérations des Province Nord et Sud pour l’octroi des permis de recherche de Geovic au comité consultatif des mines, la position défendue par le représentant des associations de protection de l’environnement est que l’exploitation de ressources minières présente des risques importants d'atteinte aux équilibres des lagons, y compris dans des zones tampons qui jouxtent des zones "patrimoine de l'humanité". Accéder aux demandes créerait un précédent grave qui pourrait conduire à une généralisation de ce type d'exploitation.

La DIMENC avait émis un avis favorable à toutes ces demandes, en soutenant que ce n'est qu'une autorisation de faire des études et essais et que l'exploitation elle-même nécessiterait une autre demande, qu'il sera toujours possible de refuser. Cette affirmation constitue une désinformation des membres du comité puisqu’elle n’est pas conforme au code minier, comme nous l’expliqueront plus loin.

Le représentant des associations de protection de l’environnement a à nouveau argumenté qu'il est évident qu'une fois que les sociétés auront investi dans des études sur ces zones, elles solliciteront nécessairement l’exploitation des ressources qu’elles y ont trouvées, et que par ailleurs il y avait déjà assez de surfaces exploitées et dégradées par l'activité minière au niveau des monts et de certaines vallées pour ne pas y rajouter les estuaires. Il fallait donc prendre une décision de principe contre ce type d'exploitation afin de préserver nos littoraux, d'autant que la pression actuelle, avec les 3 grandes entreprises minières, est déjà très forte sur les écosystèmes du pays.

En sa séance du 13 octobre 2010, le comité consultatif des mines s’est finalement prononcé (de 3 ou 4 voix contre – dont Monsieur le Haut-Commissaire, le président du gouvernement M. Gomès et le représentant des associations de protection de l’environnement, 2 pour – les représentants des présidents de provinces Nord et Sud, M. Poaouteta et M. Gay, 1 ou 2 avis réservés et 3 abstentions) contre l’attribution de tous les permis de recherche en zones littorales concernant le chrome détritique.

 

Le 22 octobre 2010, le conseil des mines, composé des 3 présidents de province et du président du gouvernement, sous la présidence du Haut-Commissaire (qui ne dispose plus de droit de vote), s’est prononcé pour l’octroi de tous les permis de recherche de chrome détritique, les votes pour provenant des représentants des présidents des provinces Nord et Sud.

 

Les membres du conseil des mines ayant assisté au comité consultatif des mines, disposaient pourtant des avis défavorables et avaient entendu les arguments développés lors du comité consultatif des mines, arguments qui n’ont pas été utilement contredits.

 

Le 22 décembre 2010, tous les permis de recherche sont accordés à la société Geovic Nouvelle-Calédonie par le président de la Province Nord.

Le 31 décembre 2010, tous les permis de recherche sont accordés à la société Geovic Nouvelle-Calédonie par le président de la Province Sud.

Pourquoi faut-il préserver les zones convoitées par Geovic ?

Les zones affectées par ces permis sont toutes des zones littorales, souvent des estuaires.

Pour certaines, ce sont des zones de loisirs gratuits.

Si les zones estuariennes ne sont pas particulièrement favorables au développement d’espèces coralliennes (la forte turbidité et la dessalure étant des facteurs très limitants à la croissance d’un récif, seules quelques rares espèces adaptées ou plus tolérantes parviennent à s’y développer), ces zones peuvent être des lieux de transit (migrations anadrome et catadrome) ou bien d’agrégation de poissons. Une très large majorité des poissons d’eaux douces de Nouvelle-Calédonie migre depuis leur rivière vers la mer pour se reproduire. Cette stratégie permet aux poissons de coloniser d’autres creeks au cours des stades jeunes (larves, juvéniles) en passant par la mer. Certaines espèces de poissons marins viennent au contraire aux embouchures des rivières pour former des rassemblements de frai (ou agrégation de ponte). C’est le cas par exemple des mulets, des sardines à tâches orange, espèces souvent pêchées par les gens du bord de mer. Par ailleurs d’autres espèces marines effectuent la première partie de leur vie (stade juvénile) en eaux saumâtres remontant parfois relativement haut dans les rivières. A l’âge adulte, les poissons retrouvent ensuite les zones lagonaires, du littoral à la pente externe (famille des Lutjanidae : Vieille de palétuvier, Lutjan à queue bleue…). Les zones estuariennes sont ici des transitions entre le stade de vie juvénile et l’adulte. D’autres espèces affectionnent ces zones dessalées et turbides et y vivent toute l’année. C’est le cas des Crocros, des Poissons-cochons, des Balabios…

Enfin, les estuaires sont des écosystèmes de « transition ». Ils caractérisent une interface entre deux écosystèmes voisins établis, terrestres et lagonaires, interface où se produit un ensemble d’échanges biogéochimiques nécessaires au maintien des deux écosystèmes.

De plus, la remise en suspension de particules conduit à s’interroger sur ses conséquences sur la vie corallienne alentour et la concentration en chrome VI, toxique s’il en est.

Permettre la recherche de ressources minières exploitables dans le milieu littoral lagonaire, c’est ouvrir la porte à une exploitation destructrice d’un milieu particulier indispensable au fonctionnement écologique du littoral et du lagon.

Que doit faire maintenant Geovic ?

Pour chaque permis de recherche, la société peut déposer un dossier de demande d’autorisation de travaux de recherche. Ce dossier sera instruit par la Province concernée via son service instructeur, la DIMENC (articles R. 142-10-21 et 22 du code minier partie réglementaire). Le dossier est examiné pour avis par les services administratifs, les communes (conseils municipaux), les commissions minières communales. Les avis doivent être rendus dans un délai de 30 jours ; au-delà, les avis sont réputés favorables. La DIMENC propose alors à la Province de statuer, ce qu’elle doit faire dans un délai d’un mois. Le cheminement du dossier est présenté dans la figure ici :

 

Le contenu du dossier est précisé à l’article R. 142-10-22 du code minier. Il contient en particulier une notice d’impact qui servira au président de la province compétente à fixer « les prescriptions destinées à prévenir les dommages ou nuisances que l’activité minière est susceptible de provoquer. » Contrairement à ce qu’a affirmé la DIMENC au comité consultatif des mines, il n’est pas explicitement prévu que le président de province puisse refuser l’autorisation au motif que les dommages sont irréversibles.

 

Après instruction, l’autorisation est accordée par arrêté du président de la Province Nord, et peut ne pas faire l’objet d’une publicité.

Le démarrage des travaux peut alors être engagé rapidement, occasionnant des dégâts irréversibles à l’environnement : destruction de la végétation terrestre, raclage des fonds marins, remise en suspension des sédiments, contamination du milieu (par du chrome hexavalent par exemple), perturbation majeure de la vie terrestre et aquatique par la présence d’hommes et de machines,…

 

Pourquoi faut-il stopper Geovic dès maintenant ?

La possession d’un permis de recherches minières et la réalisation des travaux de recherche entraînent de facto l’attribution d’une concession minière, la transformation du permis en concession étant de droit selon l’article Lp. 131-4 du code minier, « lorsque le titulaire d'un permis de recherches a, pendant la durée de validité de ce permis, fourni la preuve, par des travaux de recherches régulièrement poursuivis, de l'existence d'un gisement exploitable à l'intérieur du périmètre sur lequel porte la demande de concession », précisé par l’article R. 131-5-3 du code minier : « … la concession ne peut être refusée que si le pétitionnaire n'a pas fourni la preuve de l'existence d'un gisement exploitable à l'intérieur du périmètre sollicité et si le service en charge des mines n’a pas été en mesure d’en vérifier la nature. »

La transformation de droit en concession minière est en quelque sorte la récompense du mineur pour les travaux de recherche qu’il a conduits. C’est bien cette perspective de rémunération du mineur qui va le motiver à conduire les travaux de recherche. Si la Nouvelle-Calédonie pense y trouver son compte en ayant une meilleure connaissance de la ressource à coût de recherche nul, elle s’engage en échange à en autoriser l’exploitation !

L’obtention d’une concession minière permet l’ouverture de travaux d’exploitation, après autorisation du président de l’assemblée de la province compétente. Si ce dernier a la possibilité de fixer « les prescriptions destinées à prévenir les dommages ou nuisances que l’activité minière est susceptible de provoquer. », et doit en préalable procéder à une enquête publique et recueillir l’avis de la commission minière communale (rien ne l’oblige d’ailleurs à se conformer à d’éventuels avis négatifs), il lui sera très difficile, eu égard aux engagements financiers réalisés par le pétitionnaire lors des travaux de recherche, de ne pas lui accorder l’exploitation de tout ou partie du gisement. Il n’est pas explicitement prévu dans le code minier que le président de province puisse refuser l’autorisation au motif que les dommages sont irréversibles.

 

Le permis de recherche est ainsi la clé qui permet à la société Geovic Nouvelle-Calédonie d’accéder aux ressources minières de la Nouvelle-Calédonie et plus particulièrement celles situées sur le littoral et dans le lagon. Il y a donc urgence à demander rapidement le retrait des permis de recherche !

 

 

Comment agir ?

EPLP a déposé un premier recours au Tribunal Administratif concernant un des permis de recherche en Province Nord. D’autres vont suivre, concernant tous les autres permis attribués.

EPLP appelle la population calédonienne à se mobiliser pour faire savoir à ses élus communaux et provinciaux, à ses représentants coutumiers, qu’elle ne veut pas d’exploration en zone littorale.

Merci de relayer le plus largement possible ces informations,

de signer et faire signer la pétition en ligne en cliquant ici ….

Non à l’exploitation du chrome détritique !

(version papier téléchargeable  ici) à retourner à EPLP, BP 32008, 98897 Nouméa avant le 30 juin 2011. Merci